Sing about everyone that you left behind.

Monaco. Pas que cette ville avait particulièrement manqué à Etain. Pas vraiment. Pas du tout, en réalité. Ni son atmosphère, ni son paysage, ni ses habitants. Rien ne rattachait le jeune homme à cet endroit, si ce n'est les souvenirs. Bons ? Mauvais ? Impossible à dire. La notion de bon ou de mauvais d'Etain dépassait sans doute celle d'une personne lambda. Ou du moins était-elle décalée. Pour faire partie des bons souvenirs, il fallait répondre à toutes sortes de critères dont il ne connaissait lui-même pas la teneur. Inutile de chercher à savoir. Ici, à Monaco, il avait des souvenirs. Des milliers de souvenirs. Pas sûr qu'ils soient bons. Pas sûr qu'ils soient mauvais. Pas sûr qu'il s'en souvienne complètement aussi. La plupart des moments qu'il se remémorait étaient les longues balades en solitaire qu'il avait l'habitude de faire sur la plage, le port, ou dans les jardins. Il se rappelait également de toutes ces personnes qu'il avait rencontrées, qu'il avait - superficiellement - apprécié, détesté, ou qui l'avaient laissé totalement indifférent, et avec qui il n'avait plus aucun contact depuis près de deux ans. Sept cent trente longs jours qu'il n'avait plus remis les pieds à Monaco. Alors pourquoi ce retour dans ce lieu qui avait bercé sa jeunesse ? Ce lieu qui, bien que pas totalement son foyer, restait une part intégrante de son enfance, de part la naissance de la mère du jeune français qu'elle avait abrité ? La fuite. Rien de plus. Et rien de moins. Répéter ici le motif de ce replis aurait été totalement inutile. Et cruel. Etain était-il cruel ? Non. Sans doute pas. Juste un peu paumé. En tout cas, c'était à Monaco, malgré tout ce qui différenciait le jeune roux de ses habitants et autres touristes - le milieu social, la richesse, l'amour pour la ville en elle-même - qu'Etain avait décidé de se retirer sans prévenir quiconque si ce n'est son père, la seule personne qui lui restait. Et encore, même lui ignorait le pourquoi du comment. Le lui dire aurait été insupportable. Voir le visage bienveillant et fier de son père se décomposer au fur et à mesure qu'il lui aurait expliqué la situation, lui confesser le trouble qui régissait à présent sa vie, non, Etain en était incapable. Les gens pouvaient bien penser ce qu'ils voulaient, il n'en avait cure. Plus même, il préférait que chaque être sur terre lui voue une haine sans limite plutôt que d'avouer sa détresse. Idiot ? Égoïste ? Peut-être. Mais c'était Etain. Etain, au prénom si doux et si mélodieux, reflétant si peu la personne qu'il était. Insensible, sans cœur, incompréhensible. Secret. Secret. Secret. Concrètement, combien de personnes, dans son entourage, ignoraient le décès prématuré de sa mère ? Oui. Toutes, à seulement une dizaine d'exceptions près - qui se trouvaient d'ailleurs faire partie de l'entourage de son père et non du sien. Même parmi ceux qui pensaient le connaître, bien habile aurait été celui capable de trouver quelque chose à dire sur lui. Couleur préférée, film préféré, c'est tout ce qu'ils auraient pu savoir. Au lycée, ses professeurs ne savaient rien de lui. Pouvait-on les en blâmer, malgré tout ? En classe, bien qu'élève régulier, Etain n'était pas des plus exubérant. Il restait souvent dans la masse, ne se démarquant que par quelques remarques acides lancées aux professeurs ou élèves lorsqu'il ne parvenait pas à se retenir. Les enseignants le connaissaient d'ailleurs si peu qu'ils l'auraient sans doute plus destiné à un futur en entreprise, bureau, ou un quelconque métier ne demandant ni trop de contacts humains, ni trop de démonstrations publiques. C'était pourtant bien des études de médecine qu'avait entamé le jeune homme. Chirurgien. C'était ce qu'il souhaitait être. Réparer des cœurs, pour quelqu'un qui - dit-on - n'en a pas, plutôt cocasse. Les mauvaises langues diraient que c'est par élimination qu'il avait choisit cette vocation. Il avait réussit ses trois premières années sans trop d'encombres. Preuve en est. Mais il avait abandonné l'université au même titre que tout le reste en s'exilant ici, à Monaco. Cela faisait à peine quelques semaines qu'il était là, et déjà il espérait que cette " pause " qu'il faisait ne serait que temporaire. C'était à ça qu'Etain songeait - ses études - en marchant sans but, sur la place des moulins. Dieu sait le temps qu'il avait déjà passé ici, et son souvenir lui semblait à la fois incroyablement lointain, tout en ayant l'impression d'être passé par là la veille. Entre ses doigts rodés, il faisait crépiter son papier à rouler, s'activant à terminer sa cigarette. Il ne faisait pas particulièrement chaud, aujourd'hui, et le froid engourdissait légèrement le bout de ses doigts. Mais depuis le temps, il avait acquis une technique imparable, et n'avait plus aucun problème à achever sa besogne, qu'il pleuve, neige, et autres cataclysmes. Enfin, enfin, il tira une longue, longue bouffée. Salvatrice. Paupières closes.